La ville d’Uvira, dans l’Est de la République démocratique du Congo, a été identifiée comme un hotspot de transmission du choléra. Pour endiguer la propagation de la maladie, le projet "Eau contre le choléra à Uvira" a été lancé en 2015 pour améliorer les services d’approvisionnement en eau. Fin janvier, un atelier de travail s’est déroulé à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, sur ce thème. Objectif : évaluer l’impact des améliorations des infrastructures d’approvisionnement en eau sur le choléra et les maladies diarrhéiques à Uvira.
Le choléra reste un sujet sanitaire d’ampleur à l’échelle de la planète et dans certains pays particulièrement touchés par la maladie. La République démocratique du Congo (RDC) est l’un d’eux, avec la majeure partie des cas concentrée dans l’Est du pays, dans la région des Grands Lacs. La ville d’Uvira, dans la province du Sud-Kivu, a été identifiée comme un hotspot de transmission du choléra.
Avec ses 280 000 habitants, elle s’étend le long des rives du lac Tanganyika. Son réseau d’alimentation en eau potable date de l’époque coloniale et a été gravement endommagé pendant la première guerre du Congo (1996-1997). Les estimations de couverture du réseau d’eau variaient de 10 à 31 % de la population à la fin des années 2010. A cette situation, s’ajoute aujourd’hui l’insécurité provoquée par des conflits persistants dans la région, entraînant des mouvements de population (Réf. 1).

La Global Task Force on Cholera Control (GTFCC), initiée par l’OMS, s’est donné l’objectif d’éliminer le choléra d’ici 2030 en se concentrant sur trois axes principaux, dont la mise en place de mesures de prévention ciblées pour améliorer l’accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement dans les hotspots identifiés. Le projet "Eau contre le choléra à Uvira" a été lancé en 2015 et s’est concentré sur les activités suivantes pour améliorer les services d’approvisionnement en eau à Uvira (Réf. 1) :
- La construction d’un nouveau réservoir (2 000 m3)
- La réhabilitation de la station de traitement et de pompage de Mulongwe, pour en augmenter la capacité
- La réhabilitation (10 km) et l’extension des canalisations du réseau (24 km)
- L’installation (ou la réhabilitation, en fonction des situations) de branchements privés (2 368 réalisés, 2 997 prévus) et la construction de nouvelles bornes-fontaines (93 réalisées, 115 prévues).
Le projet a été géré par la Regideso et financé par l’Agence française de Développement (AFD), la fondation Veolia, l’Union européenne et Oxfam GB, avec un investissement total de plus de 15 millions d’euros (Réf. 1).
Le programme d’amélioration structurelle
D’importants investissements ont été réalisés pour améliorer les infrastructures d’approvisionnement, de production et de distribution de l’eau à Uvira. Ils se sont traduits par une nette augmentation de l’accès à l’eau entre 2019 et 2021. Pour autant, la quantité d’eau disponible et la continuité de service n’ont pas été satisfaisantes. Comment expliquer l’écart entre amélioration des infrastructures et qualité de l’approvisionnement en eau ? Les difficultés rencontrées sont de quatre types :
- La capacité de production limitée pendant les inondations d’avril 2020,
- L’absence d’amélioration de l’approvisionnement en électricité (entraînant un service intermittent),
- Les défis de mise en œuvre qui ont empêché la mise en service du nouveau réservoir à pleine capacité,
- L’exploitation sous-optimale du système par le personnel (Réf. 1).
Ces résultats soulignent la nécessité d’une coordination intersectorielle (eau, électricité, aménagement du territoire) pour mettre en œuvre des projets d’infrastructure aussi complexe. Ils mettent également en exergue la nécessité de ressources humaines disponibles suffisantes et qualifiées pour assurer une exploitation adéquate des infrastructures (Réf. 1).
Aperçu de l’étude menée
Pour permettre de mesurer les progrès réalisés à Uvira, un indicateur a été défini pour caractériser la qualité du service d’approvisionnement en eau. Il s’appuie sur l’accessibilité, la disponibilité, la continuité et l’abordabilité de l’eau, quatre paramètres analysés entre janvier 2017 et décembre 2021. Leur compilation permet d’établir un indicateur unique de l’évolution de la qualité du service d’approvisionnement en eau dans le temps, une donnée qui pourra être intégré dans des analyses épidémiologiques ultérieures (Réf. 1).

Parallèlement, les études sur l’impact de services d’eau améliorés sur la propagation du choléra manquent. Des chercheurs de la London School of Hygiene and Medicine (LSHTM) ont pris le sujet à bras-le-corps en s’engageant dans une étude menée en collaboration avec le ministère de la Santé publique et la Regideso, et avec le soutien de l’AFD, de la fondation Veolia et d’Oxfam (Réf. 1).
Un système de surveillance clinique a été mis en place par la LSHTM, basé au centre de traitement du choléra (CTC) de l’hôpital général d’Uvira et à l’unité de traitement du choléra (CTU) du centre de santé de Kalundu (depuis 2019). Les cas de diarrhée ou de choléra admis dans ces établissements de santé ont été systématiquement enregistrés et répertoriés sur une carte de 16 clusters. Une analyse épidémiologique a été menée de janvier 2017 à décembre 2021 sur tous les patients atteints de maladies diarrhéiques se présentant dans l’un des deux centres de référence. Au total, 4 556 cas de maladies diarrhéiques ont été traités à Uvira pendant cette période. Le taux de confirmation du choléra était de 45,4 % (Réf. 1).
Il semble que l’amélioration des infrastructures n’ait pas eu, à elle seule, un effet probant sur l’incidence des maladies diarrhéiques ou du choléra. Mais la qualité du service d’approvisionnement en eau disponible pour la population reste fondamentale pour réduire les maladies diarrhéiques et le choléra. Une diminution d’environ 14 % de l’incidence des maladies diarrhéiques a été observée pour une augmentation de 5 unités de l’indicateur de qualité du service d’approvisionnement en eau [1]. De même, une diminution de 16 % des cas confirmés de choléra a également été observée pour la même augmentation de qualité des services d’eau [2] (Réf. 1).
Parmi toutes les composantes de l’indice de qualité du service, l’association la plus forte a été observée entre la continuité et les cas confirmés de choléra, avec une réduction estimée à 25 % pour une augmentation de 5 % du temps mensuel de fonctionnement des pompes [3]. L’effet était similaire pour l’incidence des maladies diarrhéiques [4]. Une association statistiquement significative a également été observée entre la quantité d’eau disponible et l’incidence des cas confirmés de choléra [5]. En revanche, aucune association statistiquement significative n’a été observée avec l’accessibilité seule ou avec le paramètre d’abordabilité (Réf. 1).
Globalement, ces résultats confirment que l’amélioration du service d’approvisionnement en eau peut contribuer à réduire l’incidence de ces maladies (Réf. 1). Ces résultats sont également corrélés avec une étude précédente de la LSHTM montrant une association claire entre la disponibilité réduite de l’eau au robinet et l’augmentation de l’incidence du choléra à Uvira (Réf. 2).
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[1] Rapport des taux d’incidence (RTI) 0,86, IC 95% : 0,73-1,01
[2] Statistiquement significatif, RTI 0,84, IC 95 % : 0,73-0,97)
[3] RTI 0,75, IC 95 % : 0,69-0,81
[4] RTI 0,81, IC 95 % : 0,77-0,86.
[5] Une augmentation de 5 L/p/jour a entraîné une réduction de 24% de l’incidence du choléra (RTI 0,76, IC 95% : 0,61-0,94).
Séquençage du génome entier et analyses phylogénétiques de V. cholerae dans la région
Afin de comprendre la dynamique de transmission du choléra et l’évolution de V. cholerae dans la région, une étude a analysé 96 isolats de V. cholerae O1 collectés entre 2015 et 2020 en RDC (86 isolats cliniques) et en Tanzanie (10 isolats environnementaux). Ces isolats ont été soumis à des tests de sensibilité aux antibiotiques, au séquençage du génome entier, à la génomique comparative et à des analyses phylogénétiques au sein d’une collection mondiale de 1 366 génomes de V. cholerae O1 de septième pandémie, dont 130 autres génomes provenant de RDC (1998-2020) (Réf. 3).
De 2001 à 2020, les épidémies de choléra survenues dans la partie orientale de la RDC ont été causées exclusivement par la sous-lignée T10 de V. cholerae O1, qui a été introduite en Afrique de l’Est à partir de l’Asie du Sud à la fin des années 1990. Un clade est devenu prédominant après avoir acquis une mutation associée à une sensibilité réduite à la ciprofloxacine. L’émergence de ce clade résistant aux antibiotiques souligne la nécessité d’une documentation plus systématique de l’utilisation des antibiotiques, en particulier lors de la réponse à une épidémie. Pour améliorer l’efficacité des interventions, ces résultats soulignent également la nécessité d’une surveillance génomique continue et d’une communication coordonnée entre les pays du bassin du lac Tanganyika (Réf. 3).
Analyse spatio-temporelle du choléra à Uvira
Une étude réalisée en 2018 a identifié des zones de risque de choléra accru d’au moins 200 mètres pendant les 5 jours qui suivent immédiatement la présentation du cas à une clinique. Le risque était le plus élevé pour les personnes vivantes au plus près des cas et diminuait dans le temps et l’espace (Réf. 4). Afin de proposer des réponses adaptées lors de futures épidémies de choléra, une étude a été menée à Uvira pour (Réf. 1) évaluer l’emplacement, le timing et la prédiction annuelle des groupes spatio-temporelles de cas de choléra et (Réf. 2) estimer les plus grandes zones de risque accru de choléra autour des cas incidents dans un contexte endémique (Gallandat et al., résultats préliminaires) (Réf. 5).
Les résultats de l’étude préliminaire, sur la base des données de la période 2016-2020, ont détecté 26 clusters avec un rayon moyen de 652 mètres. Chaque alarme de cluster a permis de prédire une augmentation de la transmission dans les semaines suivantes. Ils ont également trouvé un rayon à haut risque d’environ 585 mètres (ou RR ≥ 2,0) autour des cas incidents dans les 5 jours après que ces cas se soient signalés à une clinique. En outre, un rayon à haut risque (RR ≥ 1,0) jusqu’à 1 915 mètres a démontré un risque persistant (Gallandat et al., résultats préliminaires). A Uvira, les clusters de choléra persistent et fournissent des informations sur les lieux de transmission intensive au début d’une épidémie. Ces résultats peuvent aider à cibler les efforts de prévention et de contrôle précoces pour atténuer les épidémies saisonnières avant qu’elles ne se propagent (Réf. 5).
REFERENCES
- Bompangue D, Bafambembe J, Saidi J, Gallandat K, Ross I, Hounmanou G, et al. L’évaluation d’impact des améliorations de l’approvisionnement en eau sur le choléra et les maladies diarrhéiques à Uvira: le mercredi 25 janvier 2023 à Kinshasa. Cette étude a été menée par des chercheurs de la London School of Hygiene and Medicine (LSHTM), en collaboration avec le Ministère de la Santé Publique et la REGIDESO, grâce au soutien de l’Agence Française de Développement (AFD), de la fondation Veolia et d’OXFAM. 2023 Jan 25; Kinshasa, DRC.
- Jeandron A, Saidi JM, Kapama A, Burhole M, Birembano F, Vandevelde T, et al. Water Supply Interruptions and Suspected Cholera Incidence: A Time-Series Regression in the Democratic Republic of the Congo. Brocklehurst C, editor. PLOS Medicine. 2015 Oct 27;12(10):e1001893.
- Hounmanou YMG, Njamkepo E, Rauzier J, Gallandat K, Jeandron A, Kamwiziku G, et al. Emergence of a seventh pandemic Vibrio cholerae O1 multidrug-resistant clade in the Lake Tanganyika basin. Emerging Infectious Diseases. 2023;
- Azman AS, Luquero FJ, Salje H, Mbaïbardoum NN, Adalbert N, Ali M, et al. Micro-Hotspots of Risk in Urban Cholera Epidemics. J Infect Dis. 2018 Oct 1;218(7):1164–8.
- Gallandat K, Knee J, Saidi JM, Rumedeka BB, Azman AS, Finger F, et al. Analyse spatio-temporelle du choléra pour informer la riposte en futur: Uvira, RDC, 2016—2020: Résultats préliminaires. Ruwan Ratnayake. 2023 Jan.
Conclusion
Ces résultats soulignent l’importance et les défis de l’amélioration des infrastructures d’approvisionnement en eau pour contrôler et prévenir le choléra ainsi que d’autres maladies diarrhéiques. Pour avoir un impact sur les maladies diarrhéiques, les programmes d’amélioration des infrastructures doivent garantir une exécution et une mise en œuvre de haute qualité, autrement dit s’assurer que les interventions améliorent les services disponibles pour la population. La plateforme de recherche établie à Uvira permettra également des avancées significatives dans la compréhension de la dynamique du choléra dans une région endémique. Elle permettra également des réponses ciblées pour soutenir les efforts d’élimination du choléra.